CESSION D'ACTIVITÉS SOUS-PERFORMANTES : COMMENT SÉCURISER LE PROCESSUS DE CESSION ENTRE LE CÉDANT ET L'ACHETEUR ?

Nicolas Laurent, Avocat Associé, Bredin Prat

La cession in bonis d’une entreprise en difficulté est, pour l’acheteur comme le vendeur, un exercice délicat compte tenu du risque de survenance d’un dépôt de bilan post-cession. Lors de leurs discussions préparatoires, les parties doivent donc prendre un certain nombre de précautions spécifiques pour se protéger de ce risque (1.). En terme de cadre, elles pourront avoir recours aux procédures de mandat ad hoc et de conciliation et solliciter in fine l’homologation de la cession par un tribunal afin de sécuriser l’opération (2.). Une fois la cession réalisée, les parties doivent naturellement s’abstenir de tout comportement qui remettrait en cause la séparation juridique et opérationnelle du vendeur et de la cible (3.).
 
Les précautions dans les discussions préparatoires 
 
S’agissant du vendeur, un certain nombre de jurisprudences récentes relatives à des affaires dans lesquelles des activités sous-performantes ont été placées en liquidation judiciaire peu de temps après leur cession (Samsonite, Delsey, UPS, Electrolux, etc.) ont dessiné les contours d’une « obligation de diligence » à la charge du vendeur dans la vérification de la crédibilité et de la viabilité du plan d’affaires du repreneur pour la cible, et de la capacité de ce dernier à mener à bien la reprise (moyens économiques et financiers, connaissance du retournement en général et/ou expertise sectorielle correspondant à l’activité de la cible). 
 
Afin de satisfaire à cette obligation, le vendeur pourra notamment (i) mettre en place, avec l’aide d’une banque d’affaires ou d’un consultant spécialisé, un processus de cession compétitif destiné à contacter un maximum d’acquéreurs potentiels et (ii) recourir, en amont de la cession, aux services d’experts indépendants (financiers, comptables, stratégiques, etc.) afin de réaliser une « independent business review » (IBR) destinée à comparer les projets des meilleurs candidats et à valider la solidité du projet de reprise (aux moyens notamment d’une analyse des hypothèses sous-jacentes aux business plans et à des études de sensibilité).
 
Par ailleurs, le vendeur devra veiller à la transparence de l’information concernant les difficultés de l’entreprise cédée et ses performances financières, à charge pour l’acquéreur d’établir, sous sa seule responsabilité, le business plan de la reprise, en faisant sien celui du management en place ou de celui qu’il installera aux commandes, sans aucune garantie évidemment de la part du vendeur sur les hypothèses ou les projections financières.
 
Du côté de l’acquéreur, se pose plus particulièrement la question de la bonne appréciation des difficultés de l’entreprise, de la détermination des mesures de retournement à mettre en place et de l’estimation des besoins financiers correspondants pendant la durée de ce retournement. La présence d’une activité déficitaire, et qui le restera potentiellement pendant plusieurs mois ou années, doit inciter l’acheteur à bien estimer les besoins financiers, voire à discuter avec le vendeur d’un « prix négatif », prenant généralement la forme d’une injection préalable dans la société, s’il n’est pas capable de financer seul les besoins de la société pendant son retournement et que les garanties d’actif et de passif consenties à l’occasion de la cession sont limitées (compte tenu du montant du prix de cession et/ou des difficultés que rencontre lui-même le vendeur).
 
Enfin, l’identification des services intragroupes en place afin d’en négocier le maintien pendant une période transitoire, la réintégration au sein de la cible de ces services ou leur migration vers un tiers dont les services sont moins coûteux devient crucial pour éviter les surprises d’un détourage mal anticipé.
 
Sécurisation de l’opération par le recours à la procédure de conciliation homologuée
 
Les procédures de prévention prévues dans le Livre VI du Code de commerce, à savoir le mandat ad hoc et la conciliation, offrent un cadre protecteur pour la recherche de candidats repreneurs, la négociation et la réalisation des opérations de cession d’activités sous-performantes. Ces procédures offrent en effet un forum purement consensuel sous l’égide d’un tiers indépendant, le mandataire ad hoc ou le conciliateur, désigné par le président d’un tribunal de commerce et rompu au traitement des difficultés des entreprises. Il apporte son expertise et sa crédibilité dans un cadre flexible dans lequel toutes les parties prenantes restent tenues à une obligation légale de confidentialité. Les parties peuvent mettre en œuvre dans ce cadre les précautions décrites ci-dessus dans la phase préparatoire de leurs discussions, se pré-constituant ainsi des éléments de preuve concernant leurs diligences respectives.
 
A la fin du processus de négociation, les parties peuvent solliciter « l’homologation » de l’accord de cession à condition qu’il soit « de nature à assurer la pérennité » de l’entreprise cédée. C’est là que l’IBR peut s’avérer utile pour convaincre le tribunal avec bien évidemment le soutien du conciliateur, afin d’asseoir la crédibilité du plan de retournement. Une telle homologation est particulièrement attractive pour les parties dans la mesure où étant fondée sur une démonstration de pérennité, elle confère une forte « présomption de légitimité » à l’opération et rend plus difficile les révisions rétrospectives, parfois opportunistes, de la validité de la cession et/ou les mises en causes de responsabilité en cas d’échec du retournement et de faillite ultérieure. Les théories et fondements juridiques ne manquent pas pour de telles actions (légèreté blâmable, fraude, manquement à l’obligation pré-contractuelle d’information, défaut de diligences, etc.), surtout lorsque la faillite est brutale pour les salariés. Il est bien entendu impératif de s’assurer que le tribunal bénéficie d’une information exhaustive et fiable, dans la mesure où une présentation incomplète ou intentionnellement erronée de la situation en vue d’obtenir l’homologation de l’accord est de nature à caractériser une fraude au jugement.
 
Préservation de l’autonomie de l’activité cédée postérieurement à la cession 
 
Après la réalisation de la cession, le vendeur doit se garder de tout comportement qui contreviendrait directement à la logique de l’opération de détourage réalisée, c’est-à-dire à sa séparation avec l’activité cédée. Cette logique dite de « clean cut » est susceptible en effet d’être contrariée par des réalités de terrain. Par exemple lorsque le vendeur continue de fournir certains services à l’activité cédée et/ou qu’il participe financièrement à l’effort de retournement.
 
Dans ce cas, la tentation est grande pour le vendeur de rester impliqué dans l’entreprise cédée, par habitude des équipes concernées ou par souhait de contrôler l’usage des sommes laissées à disposition (prix négatif). La caractérisation d’un contrôle de fait du cédant risque alors, si le retournement devait finalement échouer, de permettre au liquidateur de l’entreprise cédée de remonter jusqu’à lui en cas de faute de gestion ayant contribué à la création d’un passif non couvert pas la liquidation des actifs. Les salariés quant à eux seront tentés de recourir à la théorie du co-emploi (quoique la chambre sociale de la Cour de cassation semble désormais réserver à des circonstances très particulières la reconnaissance du co-emploi) ou, plus généralement, à la faute délictuelle. Et, comme l’a montrée l’affaire Electrolux, la présence d’un jugement d’homologation ne donnera aucune sécurité au vendeur à l’encontre de ce comportement intervenu après l’homologation. Ce risque obligera à ne laisser en place que des relations nécessaires qui, si elles sont commerciales, ne placent pas l’activité cédée dans une situation de dépendance économique vis-à-vis du cédant et, si elles sont techniques (prestations informatiques, comptables, etc.), ne sont là qu’à titre transitoire, sont fournies à des prix raisonnables et prévues aux termes de contrats en bonne et due forme envisageant à horizon défini la réintégration de ces prestations au sein de l’entreprise cédée ou leur migration vers l’acheteur voire un tiers.
 
Enfin, afin d’assurer l’autonomie et la viabilité de l’activité cédée entre les mains du repreneur, le vendeur peut également s’assurer, lors de la négociation du contrat de cession, que l’acquéreur s’engage à préserver l’activité cédée et ce, en faisant notamment en sorte que l’acquéreur souscrive des engagements visant à protéger des actifs jugés essentiels (« ring-fencing ») ou à limiter les distributions de dividendes ou les management fees (« anti-leakages ») en période post-cession. Ces engagements pourront notamment être couplés avec un séquestre ou d’une fiducie, en particulier lorsque la cession est conclue à un prix négatif. Des engagements concernant le maintien de l’emploi, s’ils sont possibles, sont également de nature à faciliter le processus d’information-consultation des instances représentatives de la cible sur la cession.
 
Quant à l’acheteur, abstraction faites des comportements souvent observés visant, afin de monnayer des contributions financières supplémentaires du cédant, à placer celui-ci dans une situation dans laquelle il encourt les risques susvisés, il doit avoir à cœur de conserver un maximum de liberté d’action pour ne pas dépendre des services d’un vendeur ou subir de contraintes structurelles trop lourdes dans la cadre du retournement, ce qui conduit généralement à des discussions relativement conflictuelles sur les clauses de ring fencing et d’anti-leakages, discussion qu’un conciliateur est justement susceptible d’apaiser.