LÉGISLATION COMPARÉE SUR L'ABS EN EUROPE : LE CAS DE L'ALLEMAGNE

Ellen Delzant, Avocate / Rechtsanwältin, Schultze & Braun GmbH Rechtsanwaltsgesellschaft, Achern / Paris

Alors qu’en France, la licéité des actes de transfert de propriété ou des flux financiers d’une personne morale au bénéfice de son associé ou actionnaire est évaluée sous l’angle de l’abus de biens sociaux, en Allemagne différents régimes s’appliquent, en fonction de la forme sociétale de la personne morale dépendante.

Il faut distinguer entre la société à responsabilité limitée de droit allemand (Gesellschaft mit beschränkter Haftung-GmbH) et la société anonyme de droit allemand (Aktiengesellschaft-AG). Le nombre de sociétés constituées en forme de GmbH étant largement supérieur à celui des AG, seule la GmbH fait l’objet de cet article. La prépondérance de la GmbH – dotée d’un capital social de 25.000 € au minimum – s’explique, en particulier, par la liberté laissée aux associés d’organiser statutairement le fonctionnement interne de la société. En revanche, les possibilités de déroger statutairement aux dispositions légales régissant les AG sont restreintes, les coûts de constitution et de fonctionnement plus élevés. 
 
Un autre élément distinguant l’organisation de la GmbH de celle de l’AG est le pouvoir des associés de la GmbH de donner des instructions à son gérant, tenu de les suivre, sauf certaines exceptions prévues par la loi. Il résulte de ce pouvoir de direction des associés (Weisungsrecht) d’une GmbH, dont ne bénéficient pas les actionnaires d’une AG, que son associé unique ou, en cas de pluralité d’associés, la collectivité des associés agissant à l’unanimité sont, en principe, habilités à priver la société de ses actifs. 
 
Ce pouvoir trouve néanmoins des limites dans des dispositions légales ainsi que des mécanismes de protection développés par la jurisprudence du Bundesgerichtshof, l’équivalent de la Cour de cassation en Allemagne, susceptibles d’engager la responsabilité civile ou – éventuellement – pénale de l’associé concerné ou de son dirigeant. 
 
Responsabilité civile  
Responsabilité liée au maintien du capital social   
 
L’article 30 de la loi sur les sociétés à responsabilité limitée de droit allemand (GmbHG) interdit, en principe, de verser à l’associé des actifs de la société, nécessaires au maintien de son capital social, à moins que le versement soit couvert par une contrepartie équivalente ou un droit à restitution équivalent. Dans l’intérêt des créanciers, cette disposition protège la partie de l’actif net qui est nécessaire, selon un calcul arithmétique, pour couvrir le capital social statutaire. Des versements à l’associé, intervenus en violation de cette règle, doivent être restitués à la société. En cas d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, l’administrateur de l’insolvabilité est chargé de vérifier si de tels versements ont eu lieu et de demander la restitution à l’associé concerné.
 
Cette interdiction est inapplicable lorsqu’une convention de contrôle ou de transfert de bénéfice a été conclue entre la société et l’associé. Elle ne s’applique pas non plus aux remboursements de prêts d’associés ou de paiements assimilables.
 
Le terme « versement » couvre tout octroi d’actifs et n’englobe pas uniquement des paiements, mais toute prestation qui diminue économiquement l’actif de la société. Il peut s’agir de prestations fondées sur les relations classiques entre la société et son associé, comme des distributions de bénéfices. Il peut également s’agir de toute opération entre la société et l’associé, créant un lien avec ce dernier comme s’il s’agissait d’un tiers, telles des livraisons ou des prestations de service. Lorsque la prestation et sa contrepartie sont équivalentes, il ne s’agit pas d’un versement interdit au sens de l’article 30 GmbHG. L’équivalence dépend de la question de savoir si la prestation aurait pu être obtenue auprès d’un tiers dans les mêmes conditions et si un gérant ordonné et consciencieux aurait, du point de vue de la société, conclu l’opération dans ces conditions (principe de prix de pleine concurrence – Fremdvergleich). Constituent par exemple des versements interdits à ce titre : 
 
– la mise à disposition gratuite de personnel de la société à l’associé pour ses propres besoins, 
– dans certaines conditions, la vente de marchandises à prix coûtant, 
– dans certains cas de figure, l’octroi d’un prêt à l’associé, lorsque la créance en remboursement n’est pas équivalente au montant du prêt à défaut d’une contrepartie en forme d’intérêts ou en cas de risque de défaut du remboursement et l’absence de garanties. 
 
Des opérations conclues avec des personnes autres que des associés ne tombent pas, en principe, dans le champ d’application de l’article 30 GmbHG. Toutefois, un versement effectué à une autre personne peut être interdit lorsque ce versement est finalement imputable à l’associé, par exemple en cas d’une relation économique étroite entre l’associé et l’autre personne. 
 
Un versement ne diminue l’actif protégé par l’article 30 GmbHG que si l’actif nécessaire au maintien du capital social n’existait plus au moment du versement ou si le versement a privé la société de cet actif. 
 
Responsabilité en cas d’intervention détruisant l’existence de la société
 
Conscient du fait que les interdictions prévues à l’article 30 GmbH ne sont pas suffisamment protectrices, en particulier des intérêts des créanciers de la société, la jurisprudence du Bundesgerichtshof a dégagé un nouveau cas d’interdiction. Ainsi, il est interdit aux associés d’une GmbH de priver la société de ses actifs, en méconnaissance de sa fonction légale de débitrice à l’égard de ses créanciers, en lieu et place de ses associés, privant ainsi la société de la possibilité de remplir en tout ou en partie ses obligations vis-à-vis de ses créanciers. Ce chef de responsabilité, basé sur la responsabilité délictuelle prévue à l’article 826 du code civil allemand (BGB), oblige l’associé à indemniser le dommage causé à la société par l’intervention abusive et sans contrepartie de l’associé, engendrant ou contribuant à l’insolvabilité de la société.
 
Responsabilité pénale pour abus de confiance   
 
Conformément à la jurisprudence des chambres criminelles du Bundesgerichtshof, des interventions d’une société mère, détruisant ou menaçant l’existence de sa filiale, sont susceptibles d’engager la responsabilité pénale du dirigeant de la société mère, pour abus de confiance, conformément à l’article 266 du code pénal allemand (StGB), lorsque ces interventions portent atteinte au capital social de la filiale ou la prive de ses bases de production ou de la liquidité nécessaire pour exécuter ses engagements vis-à-vis de ses créanciers.