AUDIT SOCIAL DE PRÉ-ACQUISITION

Joëlle Hannelais, Avocate Associée, Vivien & Associés

L’audit social est aujourd’hui un élément clé des audits d’acquisition au regard de la complexité de la législation sociale, tout manquement en la matière pouvant engendrer des conséquences financières, voire pénales, considérables. Il ne s’agit pas pour autant d’examiner dans le détail tous les aspects de la vie sociale de l’entreprise cible ni, par suite, d’identifier voire éliminer tous les risques. Le plus souvent, le temps et les documents disponibles ne le permettent pas.
 
Précisons tout d’abord que le périmètre de l’audit sera différent selon que le carve-out est structuré sous la forme de la cession d’une filiale existante ou nouvelle ou sous la forme de la cession d’un ou plusieurs fonds de commerce, autrement dit si, pour le repreneur, le projet porte sur l’achat de titres sociaux impliquant une reprise indirecte du passif ou sur la seule reprise d’éléments d’actifs. Dans le premier cas, en effet, la liste des sujets traités sera plus étendue et l’analyse plus approfondie. 
 
Il faudra en tout état de cause procéder à un ciblage précis des points d’analyse, qui bien évidemment tiendra compte des spécificités du secteur d’activité concerné. 
 
Ainsi, la revue des contrats de travail ciblera les clauses les plus sensibles, clauses de durée du travail, de rémunération, de propriété intellectuelle ou encore de non concurrence. Sans omettre certaines clauses dérogatoires et notamment celles accordant des indemnités supplémentaires de rupture à certains salariés clés ou cadres dirigeants de l’entreprise. D’expérience en effet, les enjeux financiers sont ici loin d’être négligeables. 
 
La situation du ou des dirigeants de la cible est aussi un élément clé. Quel est leur statut ? Disposent-ils à la fois d’un mandat social et d’un contrat de travail ? Il est impératif de clarifier ce point en amont, surtout s’il est envisagé de s’en séparer après l’acquisition. 
 
La convention collective applicable fera l’objet d’un focus particulier. Est-elle bien celle correspondant à l’activité de l’entreprise ? A défaut, les salariés seront fondés à revendiquer le bénéfice de l’ensemble des dispositions plus favorables de la convention collective dont ils relèveraient normalement. Il s’agit donc d’un point d’analyse nécessaire qui, le cas échéant, posera au repreneur la question délicate de l’assainissement de la situation post acquisition. 
 
Les accords collectifs constituent un point majeur d’analyse lorsque l’opération se traduit par un changement d’employeur, puisqu’il y a alors mise en cause du statut collectif. Or ce dernier renferme pour l’essentiel les avantages sociaux dont bénéficiaient les salariés au sein du groupe cédant. La perspective de perdre ces avantages et l’absence de visibilité sur le statut collectif qui leur sera substitué à l’arrivée constituent pour ces derniers, indépendamment de leur attachement au groupe cédant, un facteur de résistance au changement. Le repreneur aura donc tout intérêt à bénéficier en amont d’une vision complète sur ce statut pour lui permettre de proposer, le cas échéant, le maintien post acquisition de tout ou partie des avantages concernés. 
 
La durée du travail est également un point de vigilance incontournable, en particulier les clauses de forfait-jours des cadres ou le recours à la qualification de « cadre dirigeant » au sens du code du travail. Rappelons qu’un usage par trop extensif de cette qualification de même qu’une clause de forfait jours non valable ont pour effet de ramener la durée du travail à 35 heures hebdomadaires, autorisant les salariés concernés à réclamer, entre autres, le paiement d’heures supplémentaires. 
 
Autre sujet à ne pas négliger, les conditions de recours à des prestataires de services et les modalités de leur rémunération compte tenu d’une possible requalification de la relation en contrat de travail et du risque de travail dissimulé en résultant. 
 
Les risques majeurs de redressement Urssaf doivent bien entendu être vérifiés. Bien souvent en effet, les conditions d’exonération de cotisations sociales dont bénéficient les dispositifs d’épargne salariale, de mutuelle et prévoyance ne sont pas respectées. De même pour les exonérations accordées à raison de certains statuts, tels que celui des jeunes entreprises innovantes. Or, la réintégration des sommes correspondantes dans l’assiette des cotisations peut déboucher sur des redressements d’ampleur. 
 
Si la reprise s’inscrit dans le cadre d’une procédure collective (e.g. ; plan de cession ou pre-pack cession), le repreneur doit également prendre en compte l’intervention de l’AGS et distinguer les droits acquis des salariés qui sont nés avant ou après le jugement d’ouverture. 
 
Enfin, selon les branches professionnelles, l’analyse intégrera des sujets plus spécifiques, par exemple, le statut des journalistes et des pigistes dans les entreprises de presse ou encore l’existence de risques professionnels particuliers, comme l’exposition à l’amiante susceptible de donner lieu dans le futur à indemnisation dans des conditions qui ont d’ailleurs été récemment assouplies par les tribunaux et, de manière plus générale, les aspects liés à la santé et à la sécurité des travailleurs. 
 
Mais l’analyse des risques ne suffit pas, il faut encore en évaluer la probabilité de réalisation et surtout la charge financière inhérente. Une estimation des coûts engendrés par la nullité des clauses de forfait jours pourra par exemple être réalisée, sur la base d’un calcul estimé du temps de travail des cadres concernés intégrant un nombre déterminé d’heures supplémentaires majorées conformément aux dispositions légales. 
 
Il n’est pas rare non plus que l’analyse mette en exergue un certain nombre d’obligations auxquelles l’entité cible devra à court ou moyen terme se conformer, pour des raisons liées à l’évolution de ses effectifs (notamment avec l’atteinte du seuil de 50 salariés). Or, là encore, ces obligations peuvent être génératrices de coûts sur lesquels le repreneur aura tout intérêt à avoir de la visibilité (accord de participation par exemple). 
 
Enfin, sur un autre aspect lié à l’éventualité d’une réduction d’effectifs post acquisition, le repreneur peut souhaiter disposer en amont d’une estimation des indemnités liées à la rupture des contrats de travail, d’autant plus dans une entreprise dont, par essence, il ne connaît pas la typologie du personnel (ancienneté, âge). 
 
Mais l’audit ne répondrait pas pleinement à son objectif s’il ne comportait une dernière phase de préconisation des schémas de régularisation pré ou post acquisition selon les cas. Par exemple, l’identification de salariés clés dans l’entité cible conduira à recommander, en amont de l’acquisition et le cas échéant comme condition suspensive, l’insertion dans leur contrat de travail de clauses de propriété intellectuelle ou encore de non concurrence pour éviter que des départs ne soient motivés par la création d’une activité concurrente. 
 
L’audit social est ainsi un véritable élément de négociation du prix de cession ou de discussion des clauses de garanties à prévoir dans le contrat de cession ou l’offre de reprise suivant l’opération en cause. Pour le repreneur, sa finalité se résume en trois points : évaluer la conformité des pratiques RH de la cible aux normes applicables quelles qu’en soient la source (contrat de travail, conventions et accords collectifs), identifier et chiffrer les zones majeures de risques et préconiser les solutions propres à les minimiser.