PROCESSUS DE REVUE STRATÉGIQUE ET TRANSPARENCE, CLÉS DU CHOIX ENTRE CESSION ET REDRESSEMENT

Patrick Sevian, Président et CEO, Sagemcom

Choisir entre une cession ou un redressement est une décision difficile à prendre. Cette décision se prépare plus en amont que ce que l’on pourrait imaginer.
 
Quel que soit le contexte d’une telle décision, devoir choisir entre une cession ou un redressement est une décision humainement très difficile à prendre. Pour arriver à arbitrer en son âme et conscience, une telle décision se prépare, et ce bien plus en amont que ce que l’on pourrait imaginer.
  
En effet, quelle que soit l’étape de sa vie, période de réussites ou de tensions, une entreprise doit se structurer autour d’une revue stratégique annuelle, basée sur un processus récurrent, connu et partagé. Organisée selon une méthode bottom-up, associant ainsi un nombre plus ou moins important de collaborateurs, elle est l’occasion d’analyser l’ensemble de l’écosystème de l’entreprise : ses marchés, son environnement concurrentiel, ses roadmaps, son positionnement, ses opportunités et ses risques. Première pierre de l’anticipation, ce processus est essentiel à une prise de décision raisonnable et raisonné quant à l’avenir d’une activité.
  
Ainsi, une entreprise composée de différents segments de marchés analysera très vite les activités posant questions et pourra tenter de corriger le tir. Est-ce un problème de roadmap, de positionnement, voir même d’équipe ? Ce questionnement prendra vraisemblablement 2 à 3 ans, soit 2 à 3 cycles de revue stratégique : le temps nécessaire pour dresser le constat qu’une activité ne trouve plus sa place au sein de l’entreprise. Mais quelles questions se poser et que faut-il analyser pour en arriver à cette conclusion ?
 
En premier lieu, il faut arriver à comprendre les résultats de l’activité : lorsque toutes les activités d’un groupe vivent selon des résultats cohérents, tant en termes de profitabilité que de marges, et qu’une activité est en décalage, pesant sur les résultats du Groupe, l’analyse de ces résultats doit alors être faite :  
  • Est-ce un problème d’innovations et/ou de vitesse commerciale, par exemple ? Dès lors, investir plus massivement en R&D et/ou dans le commerce, peut conduire à un rebond positif. Cela prend plusieurs années, mais c’est le temps nécessaire pour laisser sa chance à cette activité.  
  • Est-ce un problème d’équipe ? Laissée trop indépendante, n’adhérant plus aux valeurs et aux exigences du Groupe, dépassée par les évolutions de son environnement, réticente à accepter les contraintes d’un Groupe ou ayant des velléités de départ, les raisons peuvent être nombreuses. La projection au sein d’un autre groupe peut alors parfois donner un élan positif à une équipe, lui permettant de surmonter des difficultés infranchissables lorsqu’elle se sentait sclérosée dans l’environnement précédent. Là encore, cette analyse prend du temps, 2 ou 3 ans semblant le temps nécessaire à l’installation d’une nouvelle équipe, ou pour prendre la décision d’une cession.  
  •  Est-ce plutôt un problème de marché ? Analyser tous les marchés d’un groupe permet de vite définir s’ils répondent à des exigences similaires, et ainsi si les efforts peuvent être mutualisés pour les adresser ; ou s’il est plus efficace d’adresser le marché seul. Même si parfois les cycles de vie, le rythme commercial ou celui des ruptures technologiques sont différents, un groupe doit obéir à une cohérence, à une vision stratégique commune et à des valeurs et un engagement partagés. Quelques soient les points communs, être unis permet de mobiliser toutes les forces du groupe dans le même sens et permet d’éviter les inerties et les résistances. Inversement, comment faire cohabiter des activités avec des valeurs et des objectifs opposés ? Comment manager une activité centrée sur l’innovation, quand une autre doit se concentrer sur le marketing ? Le constat d’un décalage fort entre la stratégie du groupe et la raison d’être d’une activité, mis en lumière lors du processus de revue stratégique, fait vite émerger les activités qui ne sont plus « core-business ».  
Dès lors, lorsqu’un segment est considéré comme non core-business, se posera la question, en premier lieu, d’une cession. Là encore, le processus de revue stratégique est essentiel, car il permet une bonne connaissance de l’écosystème de chaque segment, et une identification des partenaires potentiels efficace et optimisée. En cas de rapprochement, les analyses précises menées sur le segment cédé sont également d’une aide précieuse pour les repreneurs ! D’autant qu’une cession bien préparée, basée sur un processus bien structuré, peut s’avérer gagnante pour tout le monde : l’entité cédée, une fois intégrée dans un écosystème plus favorable, en meilleure adéquation avec son ADN, aura en effet une chance de se développer et de connaitre un effet rebond positif. Pour l’entreprise qui a cédé l’activité, se concentrer sur son core-business et/ou se séparer d’une activité en souffrance peut également avoir un effet très vertueux : toute l’attention du groupe est concentrée au même endroit, créant ainsi une énergie et une vitesse inattendue et favorable. On ne peut donc qu’encourager une bonne analyse de la situation en amont !  
 
Bien sûr, tout cela demande du temps. Il est évident que la situation économique d’un groupe ne peut être mise en danger par un seul segment. D’où là encore l’importance du processus de revue stratégique, qui permet d’identifier les difficultés très amont, permettant d’avoir le temps de trouver des solutions pour tenter de corriger le tir au fur et à mesure. Ce temps d’analyse continue permet d’éviter de se retrouver au pied du mur du jour au lendemain et ainsi, le redressement n’intervient qu’en tout dernier recours, car il s’agit toujours d’une étape extrêmement douloureuse (et coûteuse), et ce à tous les niveaux de l’entreprise.
 
Quoi qu’il en soit, le deuxième pilier d’une décision réussie, qu’il s’agisse d’une cession ou d’un redressement, est la transparence envers les parties prenantes, particulièrement en interne. Communiquer régulièrement à destination des collaborateurs, en les tenant informés plusieurs fois par an, de la santé de l’entreprise, de ses décisions stratégiques et de ses grands enjeux, permet d’anticiper et de mieux faire accepter ce type de décisions : elle apparait alors comme un choix de raison et non pas comme une décision « tombée du ciel ». Faire part des difficultés d’une activité ne doit pas être considéré comme un échec, mais bien comme une pierre essentielle à la stratégie de l’entreprise : les collaborateurs vivent les difficultés au quotidien, ils sont les mieux à même de les comprendre d’autant plus quand elles sont expliquées et resituées dans un contexte global. A l’heure où de telles décisions peuvent susciter beaucoup d’émotions, il est essentiel d’apporter de la rationalité et cela se construit sur le long terme !  
  
Cession ou redressement doivent donc être arbitrés dans le cadre d’une stratégie construite, de long terme, agrémentée de rendez-vous réguliers avec les collaborateurs selon un rythme biologique connu de tous. Ces ingrédients sont d’ailleurs tout aussi indispensable à une entreprise en bonne santé… pour qu’elle le reste