COMMENT DÉCIDER QU'UN ACTIF N'EST PLUS STRATÉGIQUE ?

Olivier Marion, Associé, PricewaterhouseCoopers Advisory, Responsable Deals, PwC France

Comment décider qu’un actif n’est plus stratégique ? 

Cession, « spin off », « carve out », …il n’est pas une semaine sans que la presse économique ne se fasse l’écho d’une opération de vente d’une activité par le groupe qui la détient. Dernière illustration à l’heure où cet article est mis sous presse : le laboratoire pharmaceutique Merck & Co France qui annonce la cession de son site de production de Riom (584 emplois), spécialisé dans la production de petites molécules, là où les axes stratégiques du groupe – cancérologie, infectiologie et vaccins – concernent de plus en plus les larges molécules.
 
Les actifs stratégiques sont essentiels pour l’activité d’une entreprise, lui procurant un avantage compétitif et une rentabilité certaine. Ils sont par nature difficilement imitables, obtenables, remplaçables ou échangeables. Comment décider qu’un actif n’est plus stratégique pour l’entreprise, et comment en assurer la cession optimale ? 
 
En réponse à cette question, il faut d’abord souligner qu’une entreprise bien gérée doit avoir une stratégie définie et actualisée périodiquement pour s’adapter à ses marchés, en particulier à l’ère de la transformation digitale, source d’intensité concurrentielle sans cesse croissante. A ce titre, l’identification d’actifs non stratégiques fait partie intégrante de la stratégie de portefeuille de l’entreprise (cette dernière devant être structurée et alignée avec les objectifs à long-terme de l’entreprise). 
 
Quels axes d’analyse doivent être retenus pour définir une stratégie de portefeuille ? Ils sont par nature propres à chaque entreprise, mais incluent fréquemment les points suivants : 
 
  • Aligner les actifs ou activités de l’entreprise avec ses orientations stratégiques et leur évolution. Pour illustration, le pôle Biscuits de Danone, qui a longtemps constitué un des trois piliers du groupe, a été cédé à différents acteurs mondiaux au milieu des années 2000, car il n’était plus aligné avec l’évolution du groupe vers la santé (boissons, produits laitiers, alimentation infantile, « alicaments »), qui lui assurait comparativement de plus fortes croissances tout en donnant une cohérence à la marque et son positionnement.   
  • Privilégier la rentabilité et la croissance en mode prospectif: certaines activités peuvent être rentables, en position de « vaches à lait », mais ne pas être identifiées comme les vecteurs de la croissance à venir de l’entreprise. La décision de les céder, pour allouer les montants ainsi libérés à des investissements sur des zones, marchés ou activités à plus grande dynamique, peut répondre au besoin de l’entreprise de préparer l’avenir, en cédant ses activités au bon moment, soit à l’asymptote de leur performance. 
  • Libérer des capitaux: le critère de rentabilité ou de croissance n’est pas le seul. A croissance et rentabilité égales, certains actifs peuvent être plus consommateurs de ressources : investissements significatifs, besoin en fonds de roulement important, etc. Céder les actifs les plus consommateurs de capitaux permet de réallouer ces derniers sur des activités d’avenir pour l’entreprise. 
  • Financer l’innovation : il arrive que l’entreprise, dans le cadre de ses arbitrages, décide de céder des actifs, quand bien même considérés stratégiques, afin de favoriser l’investissement dans des projets ou des activités jugées encore plus porteuses pour l’avenir. Les ressources n’étant pas infinies, la stratégie de portefeuille est là pour prendre les bonnes orientations. 
  • Se mettre en conformité avec le droit de la concurrence : les conséquences d’une fusion entre concurrents peuvent inclure la nécessité de céder certains actifs de sorte à se mettre en conformité avec le droit de la concurrence, qui impose d’éviter les positions dominantes sur les marchés, et ce quand bien même ces actifs seraient considérés stratégiques. 
  • Céder ses actifs sous-performants: lorsqu’une activité ne fonctionne pas selon les attentes de l’entreprise (déficits, consommation de trésorerie, etc.), elle risque d’être un véritable facteur de contagion venant fragiliser l’ensemble de l’entreprise. Une question se pose alors : doit-on se donner le temps et les moyens de la restructurer afin de lui faire atteindre de nouveaux des niveaux de performances normatifs, ou doit-on la céder au plus tôt, quitte à contribuer, en tant que vendeur, au plan de retournement que l’acquéreur devra mettre en action? Par expérience, il est possible de céder un actif sous-performant de manière optimisée, en étant réaliste sur ses attentes, ce qui est parfois la meilleure solution afin d’éviter de siphonner l’énergie de l’entreprise, de son management et de ses ressources sur les temps à venir afin de réussir le retournement de cet actif (l’exercice restant par définition aléatoire). 
 
Une fois l’actif identifié comme étant non stratégique, et donc à céder, l’aventure ne fait que commencer !
 
L’objectif poursuivi par l’entreprise est triple : maximiser la valeur de l’actif à céder, ceci dans un calendrier le plus réduit possible, et en sécurisant l’opération jusqu’à sa conclusion. 
 
Notre étude récente PwC « Value Creation in Deals » montre, à ce sujet, des indicateurs qui interpellent :    
  • 93% des désinvestissements qui n’ont pas créé la valeur escomptée pour le vendeur ont été réalisés sans méthodologie claire / plan structuré 
  • 89% des entreprises consultées ayant réalisé un désinvestissement sont convaincues qu’elles auraient créé davantage de valeur en ayant travaillé plus étroitement avec le management de l’activité cédée
  • 89% des vendeurs pensent que la création de valeur liée à l’actif cédé aurait pu être optimisée via une meilleure structuration juridique & fiscale. 
En synthèse, une cession d’activité se prépare de manière structurée et bien en amont du moment où le processus de cession sera lancé, de sorte que le périmètre exact de l’actif à céder ait pu être clairement établi et validé, et que le vendeur ait pu anticiper et répondre aux différents points faibles qu’il pouvait présenter, dont notamment des rentabilités ou générations de trésorerie non optimisées, une imbrication complexe au sein de l’entreprise vendeuse, ou encore une structure juridique pénalisante. Comme pour une épreuve sportive, et si l’on veut monter sur les premières marches du podium, la préparation est la clé pour créer de la valeur lors d’une cession d’actifs !
 
A propos des auteurs : 
 
Olivier Marion est associé PwC,  responsable des activités Deals, et spécialisé dans l’accompagnement d’entreprises en difficulté et de cessions d’activités sous performantes
Edouard Bitton est associé PwC, responsable des activités Deals Strategy & Operations, impliqué sur des enjeux de séparation lors de cessions, et par ailleurs coordinateur de la démarche Value Creation in Deals de PwC France.